dimanche 4 octobre 2009

La Vraie Vérite sur la Grippe A


Bien Chers Lecteurs, Eminents Chercheurs de la Lumière de l'Esprit,

En tant qu'êtres profondément spirituels, il nous revient bien entendu d'être mieux informés de la vérité vraie que le commun des mortels. C'est normal, puisque nous sommes l'élite qui savons, et non le bas-peuple qui se morfond dans une ignorance que nous mépriserions volontiers si le mépris était autorisé pour des êtres spirituellement élevés.

Je ne doute pas que vous avez déjà reçu dans votre messagerie électronique au moins une dizaine de messages prétendant fournir la vérité vraie sur la grippe A. Sans doute vous ont-ils été envoyés par des gens qui se présentent comme vos amis, et qui pensent vous rendre service et vous sauver la vie en vous révélant le scandale de l'année : la grippe A, et surtout le terrible vaccin qui tue, sont les outils d'une machination diabolique mise au point par ceux-qui-nous-dirigent. Heureusement, les braves amis qui nous transmettent les messages d'information parallèle (donc vraie, forcément) nous révèlent la vérité vraie : le vaccin, qui sera volontairement infesté, n'est qu'un moyen pour mettre un terme à la surpopulation, en tuant des millions de personnes dans le monde. C'est ainsi que ceux qui appartiennent aux courants parallèles, les gens qui se pensent spirituels, sont censés être sauvés en refusant "le vaccin de la mort". Ces gens qui ne demandent qu'à vous aider par leur message, oui, oui, ce sont bien les mêmes qui vous refusent le moindre service en cas de besoin, voire qui vous invitent à vous interroger en profondeur quand vous leur demandez quoi que ce soit, puisqu'étant spirituels, vous devez être sans besoin. S'ils vous invitent autant à investiguer, c'est peut-être que pendant ce temps, ils n'ont pas à le faire eux-mêmes quand votre demande dérange leur irresponsable quiétude : ils ont déjà fait leur devoir en vous renvoyant à vous-même, alors ils peuvent retourner à leurs lectures spirituelles.

Eh bien très chers lecteurs, vous qui êtes encore plus supérieurs et spirituels que le chercheur moyen, vous voici récompensés pour avoir été bénis de l'accès à ce blog : je vais vous révéler la vérité vraie sur la grippe A, sur le vaccin, et sur les messages d'information qui dénoncent le "vaccin de la mort".

La vérité vraie, c'est que la grippe A, le vaccin, et les messages d'information parallèle ont une seule et même source : ils sont les outils odieux avec lesquels ceux-qui-nous-dirigent, satanistes accomplis, vont se débarasser de l'épine qui leur torture le pied : les êtres spirituels, vous et moi, qui sommes des outils du Divin.

Voici leur plan diabolique, dans le détail le plus sommaire :
- Créer un virus très contagieux et mortel, pour qu'il se répande dans le monde entier,
- Proposer un vaccin, car sinon ceux-qui-nous-dirigent seraient immédiatement reconnus comme des assassins, ne faisant rien pour sauver les gens du terrible virus,
- Créer et faire circuler des messages de désinformation dans les milieux spirituels, afin que les êtres spirituels évitent la vaccination, et que le plus grand nombre de victimes soient comptés dans leurs rangs.

N'est-ce pas odieux et diabolique? Vous rendez-vous compte que les braves amis qui vous ont transmis les messages anti-vaccins ont en réalité été les jouets de ceux-qui-nous-dirigent? Pensant bien faire, ils ont augmenté notre risque de contamination et de décès. C'est ainsi que nos élites comptaient se débarrasser des êtres spirituels.

J'ai bien dit "comptaient", car grâce à votre serviteur, la supercherie est levée.

Très chers lecteurs, comment vous sentez-vous à l'idée :
- d'être mieux informés que les autres,
- d'être à l'abri de tout danger,
- d'avoir le pouvoir de sauver ceux que vous aimez, en leur transmettant ce message.

Imaginez la gratitude et l'admiration dont vous serez l'objet!

Sentez-vous votre orgueil se gonfler?
Sentez-vous votre colère trouver une justification grâce à cette histoire de complot?
Sentez-vous comme votre existence se trouve glorifiée par votre rôle dans la transmission d'une information vitale?
Sentez-vous la chappe de savoir rassurant qui vient recouvrir la peur qui est en vous?

Si vous sentez tout ça, vous comprenez pourquoi les messages d'informations secrètes rencontrent un tel succès, pourquoi ils circulent aussi vite sur la toile : ils flattent l'orgueil, justifient la colère, et masquent la peur.

Lire avec passion un tel message, laisser son émotivité et son orgueil brouiller son jugement, se laisser aller à le transmettre à tous pour "partager" toutes ces bonnes choses, c'est une excellente méthode pour ne pas se regarder en face, un moyen de plus pour le chercheur spirituel de se dédouaner, de se mentir à lui-même, de stimuler les penchants les moins conscients en se croyant être investi par la vérité vraie.

Et si le problème dans le monde, ce n'était pas ceux-qui-nous-dirigent, qui ne sont que le juste reflet de la société qu'ils représentent? Et si en réalité, le problème, c'était moi? Ah, que la nouvelle serait mauvaise et amère...toutes mes croisades dévoilées pour ce qu'elles sont?

Très estimé lecteur, si tu tiens à protéger l'image de toi-même que tu as péniblement créée après des années de recherche, oublie ce message, oublie ce blog. Tout ce que tu y liras te sera insupportable. Il ne s'agit que des propos aigris et insensés d'un pseudo-yogi même pas diplômé.

Rien qui mérite de remettre en question le confortable assemblage imaginaire dans lequel nous nous vautrons, la conscience sereine, ou au moins assoupie...

jeudi 23 avril 2009

De l’importance d’être soi-même


Il parait que nous entrons dans l’Ere du Verseau, et qu’en principe, c’est une bonne nouvelle : la spiritualité ne reste plus confinée au sein de milieux fermés, mais se répand dans le monde, imprégnant le matérialisme ambiant d’une profondeur nouvelle. C’est ainsi que nos vieux psychanalystes barbus se retirent au profit d’êtres lumineux, de channels qui parlent au nom des anges, de thérapeutes tous meilleurs les uns que les autres, grâce à la découverte de mécanismes éminemment subtils.

Depuis quelques années, avec la vogue « new-age », le monde de la thérapie et du développement personnel connait une véritable ébullition. Il ne se passe pas trois mois sans que nous ne recevions un message d’un ami qui est tombé sur une technique révolutionnaire, sur un thérapeute hors-pair, qui en quelques séances trouve et dénoue les origines de nos maladies et de nos conflits les plus ancrés. A un point qu'on se demande pourquoi ces mêmes amis ne vivent pas déjà depuis longtemps dans une béatitude totale. Si, grâce à la nouvelle méthode, ils seront très heureux dans le futur, il semblerait paradoxalement que dans le présent, ils soient de plus en plus dérangés par leurs divers troubles, et de plus en plus agités dans leur recherche. A se demander si la période actuelle voit une incursion de la spiritualité dans le matérialisme, ou plutôt une incursion du matérialisme dans la spiritualité…

N’est-il pas d’ailleurs surprenant de constater que la spiritualité est devenue synonyme de développement personnel, alors qu’au cœur de toutes les voies spirituelles, la personne brille par son absence ? Ce glissement, qui doit être subtil, puisqu’il se produit à l’insu de la sagacité des chercheurs spirituels, est-il vraiment anodin ?

On entend de toutes parts qu’il est important de se libérer du regard d’autrui, et d’oser être soi-même. Il existe d’ailleurs des centaines de livres qui expliquent comment y parvenir, ce qui prouve l’importance portée au fait d’être soi-même pour progresser sur le chemin. Il semble certain que si l’Ultime se trouve en soi, on ne peut s’en approcher en essayant de devenir celui ou celle que les autres attendent que l’on soit. D’où la déduction qui semble logique : je dois m’affirmer en tant que moi-même, tel que je suis, et me libérer du regard des autres. Il s’en suit des comportements typiques dans les milieux spirituels : on commence par perdre toute souplesse, on devient égoïste, et on finit coupé de tout et de tous, dénigrant un système dont on prétend sortir, alors qu’on en devient seulement un parasite marginal qui prend sans rien donner. Si la « spiritualité » continue sa progression, le nouvel âge risque fort de ressembler à l’âge actuel : une jungle où chacun se bat pour protéger la place à laquelle il estime avoir droit, voulant tout prendre et rien donner. Avec en prime la suprême hypocrisie : c'est "spirituel"!

Alors la question se pose : au nom de quel « soi-même » est-on prêt à donner des coudes ? Quel est ce « soi-même », censé nous orienter au cœur de soi – un lieu de paix et d’harmonie -, et nous amenant à adopter des comportements sources de conflit ?

« Moi-même » = ce que j’aime, ce que je n’aime pas, ce dont j’ai envie, ce que je ne veux pas, ce qui me donne une impression agréable, ce qui me donne une impression désagréable. En résumé, moi-même, c’est défini par la somme de ce que je veux saisir, et de ce que je veux rejeter. Moi, j’aime le rouge plutôt que le vert. Moi-même, ce sont mes choix. Etre soi-même, c’est donc être ses choix. Bien sur, c’est présenté noblement : « je suis juste fidèle à mes choix, je ne les impose à personne ». Mais entre nous, est-ce bien vrai ? Si je ne tentais pas d’imposer mes choix aux autres, mes relations seraient-elles ce qu’elles sont, avec ma famille, avec mes collègues, avec la société ? Aurais-je autant la désagréable impression d’être entouré par « des cons qui ne me comprennent pas », si je n’attendais pas qu’ils se rallient à mes choix ?

Quant à ces choix que je dis miens, sont-ils vraiment des guides fiables pour me conduire au cœur de moi-même ? Est-ce que je choisis mes choix ? Ou est-ce que mes choix s’imposent à moi ? Suis-je libre de préférer le rouge plutôt que le vert, ou est-ce que je le subis ? Est-il un seul de mes choix qui ne soit autre chose que le produit de mon conditionnement, c'est-à-dire provenant de l’extérieur ?

Vouloir obstinément être « soi-même », ne serait-ce pas finalement s’enchainer à ses choix, se faire l’esclave d’un conditionnement extérieur ? En m’efforçant d’être moi-même, est-ce que je me rapproche de mon centre, ou est-ce que je cours frénétiquement après des éléments périphériques ?

Je souhaite me libérer du regard des autres, et j’oublie que mon propre regard ne m’appartient en rien ! Mon regard n’est qu’encombrement du passé : génétique, éducation, traumatismes, voici les éléments à l’origine de mes inclinations «naturelles». Vouloir coute que coute être soi-même, cela revient en fin de compte à déclarer la guerre au nom de la paix, c’est lutter au nom de ce qu’on n’est pas.

Voila une face cachée du développement personnel, et voila peut-être pourquoi des dizaines d’années de thérapies aboutissent parfois à un égocentrisme tel qu’on devient incapable de vivre en société. On se console en affirmant qu’on est au moins en accord avec soi-même. Mais si c’était vrai, serait-on inscrit au prochain séminaire de la nouvelle thérapie révolutionnaire grâce à laquelle on va enfin se débarrasser de ceci ou cela qu'on n'accepte pas en soi? Si on était vraiment en paix avec soi-même, aurait-on ce besoin impératif de croisade pour changer son conjoint, ses enfants, ses collègues, la société ?

Nous passons notre temps à nous mentir à nous-mêmes, à prétendre devenir spirituels quand nous resserrons chaque jour davantage les chaines qui nous entravent. Le prochain livre « new age », la prochaine thérapie, la prochaine cure de raisin, le prochain voyage en Inde, le prochain séminaire de yoga, la prochaine rencontre - ou refus de rencontre - avec tel ou tel gourou seront un nouveau tour de vis. Je serai davantage moi-même, davantage justifié dans mes conflits, davantage lié à mon conditionnement.

C’est ainsi, et je n’y peux rien.

Inutile d'ailleurs d'essayer pour autant de devenir un autre, un être sage, altruiste, car à nouveau ce sera au nom d'un de "mes choix", c'est à dire d'un conditionnement.

C'est ainsi, et je n'y peux rien.

Suis-je prêt à me l’avouer ?

Qui sait ce qui se produirait si je m’en faisais sincèrement l’aveu ?

lundi 30 mars 2009

Des nouvelles de Steve



Sur Internet circulent toutes sortes de canulars.

Le dernier à la mode : Stephen Jourdain serait mort, des suites d’une chute faite un vendredi 13. On nous prend vraiment pour des zozos.

Alors depuis, tout le monde y va de son bon mot :

- Steve était de loin le plus éveillé des éveillés. D’ailleurs, Eric Baret m’avait confié dans l’intimité que jamais dans cette vie il n’atteindrait le niveau de Steve…

- Steve avait certes eu une expérience spirituelle, mais à mon avis, il ne s’agissait pas de l’éveil ultime ; il n’y a qu’à voir les relations conflictuelles qu’il entretenait avec les femmes.

- Prions pour Steve pour qu’il trouve la lumière ; il en aura bien besoin, car il a accumulé un lourd karma négatif dans sa relation à M.C.

Il suffit donc qu’un animal intentionné lance une ânerie sur le net pour que tout le monde en rajoute une couche.

Mettons donc fin à cette fausse rumeur : Jourdain est vivant, et il va bien.

Pour ceux qui ne le connaissent pas, trois solutions :

- lire ses livres (bon courage !),

- regarder ses photos sur Internet,

- imaginer ce que peut être un mélange de Bouddha, Jésus-Christ, Casanova, Arsène Lupin et Louis De Funès, et traverser toutes ces images pour trouver le point, celui qui est commun.

Un point...c’est tout.

vendredi 27 mars 2009

Peut-on être un yogi?


En brave chercheur spirituel, j’ai trainé mes guêtres dans divers groupes qui se disent spirituels, à la recherche de l'introuvable. Plus ou moins partout, d’ailleurs plutôt plus que moins, j’ai rencontré ce qui s’appelle le sentiment d’appartenance.

Ainsi, quand vous êtes évangéliste, il ne fait aucun doute pour vous que vous êtes évangéliste, et pas catholique, juif, musulman ou hindou, du fait que les évangélistes, ils possèdent la vraie vérité qui est la seule vraie, alors que les catholiques, juifs, musulmans, hindous et autres ils sont dans l’erreur la plus ténébreuse. Les fanatiques religieux de tous bords fonctionnent ainsi. Certains se contentent de déranger leurs voisins en leur vendant le Salut, d'autres les font sauter (c'est plus expéditif). Cette tendance au sectarisme se rencontre dans les religions – qui ne sont que l’opium du (bas) peuple – mais ne saurait en principe concerner le monde spirituel, où le dogme est banni, et où la claire vision règne.

Et pourtant.

Voyageons un peu. Rendons visite à des amis d’un ordre initiatique traditionnel, adogmatique, prônant la tolérance et l’ouverture. Très vite, nous allons constater que les trois quarts des échanges ont pour unique propos de se rassurer sur le fait que vraiment, on est au bon endroit. Alors, soit on jouit d'une approche élitiste dans son petit groupe fermé très éclairé, soit vraiment il est important que l’ordre croisse et se répande, car à travers lui, c’est la lumière qui vient à la rencontre des profanes se morfondant dans l’ombre. Il ne s’agit pas du tout de prosélytisme, car c’est là un vilain mot, mais d’un engagement à servir l’humanité, ce qui est bien plus noble. Dans les deux cas, chacun des membres de l’ordre est sincère dans sa croyance: il est sur la bonne voie.

Cette croyance étant installée, très vite, un glissement s’opère : l’appartenance à un groupe qui fait le bien, en tout cas qui essaie, me confère un statut. Je ne suis plus un profane vivant dans l’erreur et l’obscurité, je suis un initié. Pour peu que je vieillisse quelques temps dans l'ordre, je peux même devenir un maitre.

Bien entendu, je dois concéder qu’il me reste des progrès à faire, et d’ailleurs je me plais à dire que les progrès sont infinis et que jamais la pure lumière ne sera atteinte. Mais tout de même, je fais partie des bons, ce qui justifie que la plupart du temps, j’occupe mon regard à l’autoglorification collective de mon ordre, convaincu que si tout le monde était comme nous, l’harmonie règnerait sur terre.

Sauf que l’harmonie ne règne déjà pas vraiment au sein de l’ordre, car ici comme partout, chacun a besoin de se rassurer qu’il a raison, ce qui implique que l’autre (qui peut être un de mes camarades que je juge indigne, ou l’organisme central de mon ordre, ou les diverses divisions au sein d’un ordre censé universel…), que l’autre donc, ait tort. J’ai raison, il a tort, et voilà l’harmonie de surface qui fait place à la réalité : un ego en conflit.

Heureusement, tous les chercheurs spirituels ne tombent pas dans le panneau ; la plupart ont compris que les structures établies, qu’elles soient religieuses ou initiatiques, ne sont que des fossilisations dévoyées de la tradition primordiale. La seule garantie pour qu’un groupe ne s’égare pas, c’est qu’il soit dirigé avec sagesse par un être réalisé.

Scénario numéro 1 : je dépose ma vie aux pieds d’un gourou – parfait de préférence – je répète mon mantra, je passe trois mois par an à l’ashram en Inde, quand je ne plaque pas tout simplement mon travail et ma famille pour me consacrer à temps plein à ma recherche - Dieu mérite bien quelques sacrifices. Après l’exaltation des débuts, le contact extatique avec un être rayonnant, je suis vite rattrapé par la réalité : les luttes de pouvoir au sein de l’ashram, les bousculades pour être plus proche du gourou, pour que son Regard se dépose sur moi, convaincu que plus je serai regardé par le gourou, plus je ferai le plein de grâce, et plus vite je serai éveillé. Je suis disciple de « Sri Maha Mama » ou autre, et cela suffit pour m’acheter ma place au paradis.

Le sentiment d’appartenance, c'est l’alternative à un regard honnête posé sur moi-même: ça m'évite de voir mes mesquineries, mes contradictions, mon orgueil, avec comme base le sentiment lancinant de ne pas être comme il faut, et comme compensation la croyance d’être sur le chemin qui me rendra parfait.

Scénario numéro 2 : ouf ! Enfin je suis libéré de l’illusion. J’ai eu la chance d’être touché par un enseignement non-duel. J’ai compris que rien ni personne ne peut me donner ce que je suis, et que toute démarche ne fait que m’éloigner. Tout de même, quand je fais un stage de yoga avec mon « ami spirituel » - ce qui n’a bien entendu rien à voir avec la projection romantique du gourou, je contacte une tranquillité qui n’a d’égale que l’agitation et le désarroi qui ornent mon quotidien quand je suis prisonnier d’un repas de famille ou impliqué dans les échanges de tirs divers et variés dans ma vie professionnelle. Ah, si seulement tout le monde pouvait être touché par la tranquillité, si seulement je n’avais plus à supporter le bruit du monde, ses conflits, sa vision limitée et obscurcie.

Quel plaisir quand je retrouve mes vrais amis au stage suivant, quel soulagement de nous raconter mutuellement nos souffrances, ce que nous devons subir pendant les semaines qui séparent les îlots de grâce que sont les séminaires de yoga.

Quelle joie de se retrouver entre amis qui partagent l’amour de l’écoute, du silence, de la tranquillité ! Quel sentiment rassurant que de baigner dans la compagnie de celui-qui-n-est-personne, dont la simple présence déclenche en nous le rappel de qui nous sommes vraiment. Ah, le sentiment d’appartenance, c’est bien grâce à lui que j’arrive encore à supporter mon quotidien.

Je suis un yogi, enfin un apprenti yogi, car tout de même je garde à l’esprit que l’humilité ouvre les portes de l’être. Je suis un yogi, donc je ne supporte plus d’être entouré de requins avides au travail, je suis un yogi, donc je ne supporte plus les crises de jalousie de ma femme ou de mon mari encore pris dans le concept ringard de fidélité, je suis un yogi, donc je ne supporte plus la nourriture tamasique de la cantine, je suis un yogi, donc je ne supporte plus les milieux spirituels dualistes qui s’égarent, je suis un yogi, donc…je ne supporte plus rien!

Je suis un yogi, donc je me coupe de tout, et je me raconte que c’est par amour pour l’être, la vérité, la clarté, l’écoute. Je méprise – avec compassion bien entendu - tous les ignorants qui m’entourent, je fustige ceux qui résistent à l'idéologie non-dualiste, et alors, je peux devenir un tueur si quelqu’un ose s’attaquer à celui par qui la vérité me touche, celui-qui-n-est-personne. C'est important que tous le reconnaissent et le respectent, car celui-qui-n-est-personne est mon devenir.

Ah, celui qui n'est personne... Comme ses mots sont justes. Comme son humour est brillant. Comme ses gestes sont fluides. Comme je serai bien quand je serai comme lui. Je suis toujours au premier rang dans la salle pour baigner davantage dans son champ énergétique. Comme lui, je ne prends qu’une tasse d’eau chaude au petit déjeuner, je fréquente mon tapis avec assiduité, j'abhorre le poisson et encore plus la viande. Je méprise la psychologie, je méprise les thérapeutes, je méprise le hatha-yoga, je ne suis que mépris à 360°. C'est normal, j'ai raison. Ils ne voient pas. Je vois.

Et que personne n'ose mentionner mon comportement égoïste! Je nie toute responsabilité dans les souffrances que j’impose à autrui: n'est-il pas vrai que la source de la souffrance de l’autre est uniquement chez l’autre? Je m’autorise dix mille caprices car je tiens avant tout à être moi-même. Y'en a marre de n'exister que dans le regard des autres! Fini la servitude! Je ne suis pas là pour faire plaisir aux autres! Je suis libre de toute limite conceptuelle, ayant transcendé par mon intellect pointu les vieilles notions de bien et de mal. Je suis ultimement irresponsable, et forcément je ne saurais m’égarer ainsi, car celui-qui-n-est-personne dit toujours que personne n’est responsable, car de toute manière il n’y a personne.

Celui-qui-n-est-personne me montre la lune, et contemplant son doigt, je suis heureux de vivre dans la vérité.

Je contemple son doigt à longueur de journée, ce doigt qui justifie chacune de mes pensées avides, chacun de mes actes égoïstes, et je me dis que j'approche de la liberté ultime. A regarder le doigt de trop près, je ne vois pas que je me l'enfonce dans l'oeil. Tôt ou tard, le doigt dans l'oeil fait mal. Alors je mords de partout, parfois même le doigt. D'une manière ou d'une autre, forcément j'ai raison et l'autre a tort, puisque je suis sur le bon chemin. J'ai croisé celui-qui-n-est-personne, donc il est clair que je suis destiné au Vrai!

Je me dis ce que se dit le disciple de Sri Maha Mama. Je me dis ce que se dit le membre du grand ordre de la vérité lumineuse et gnostique. Je me dis ce que se dit l’évangéliste, le catholique, le musulman, l’athée rationaliste, mon voisin, mon collègue, et chacun des braves egos qui peuplent cette terre. J’ai raison, ils ont tort, car j’appartiens à tel ou tel courant : je suis croyant, je suis athée, je suis adepte de yoga (du Cachemire, bien sur), je vais à la messe, je suis libre-penseur (c’est ainsi qu’on appelle les esclaves de la pensée), je suis marxiste éclairé (tant qu'à faire...), je suis ceci, je suis cela.

Il y a quelques décennies, ce mécanisme à été brillamment dénoncé par un certain Krishnamurti. Des propos d’une clarté exemplaire, une approche rigoureuse et non mystique, idéale pour être entendue en occident. Une lame bien affutée, maniée avec brio, qui a tournoyé devant des dizaines de milliers de « chercheurs ». Une lame qui avait tout pour abattre l’illusion du sentiment d’appartenance. A voir ce qu'il en reste - même sur les forums "krishnamurtiens", une bonne dose d'optimisme est nécessaire pour saluer dans le discours du sage autre chose que des coups d'épée dans l'eau.

Je suis un digne héritier de Krishnamurti, je suis un yogi (non-duel s'il vous plait), je suis quelqu'un qui n'appartient à aucun groupe (c'est à dire qui appartient au groupe de ceux qui avancent par eux-mêmes pour éviter d'être dérangés dans leurs certitudes), je suis ceci, je suis cela, je suis d’accord avec untel, pas d’accord avec untel.

Je ne suis qu’un point de vue qui affirme son existence.

En lisant ces lignes, je me dis « c’est n’importe quoi ». En lisant ces lignes, je me dis « oui, et alors? ». En lisant ces lignes, je me dis « c’est tout à fait ça, il a raison ! ».

En lisant ces lignes, je ne suis qu’un point de vue qui affirme son existence.

En écrivant ces lignes, je ne suis qu’un point de vue qui affirme son existence.

Suis-je vraiment prêt à m'en faire la confession?

mercredi 25 mars 2009

Diner avec B.


Hier soir, B. est venu diner.

Il n'allait pas bien, se sentant incapable, en échec sur les plans affectif et professionnel. Il était déçu par lui-même, déçu par les autres, et comme pris dans un tourbillon: trop de travail, pas assez de sommeil, et harcelé par ses propres pensées.

Pourtant, il y a quelques mois, sous son agitation de surface, B. vivait une grande tranquillité. A son insu, son regard a glissé vers l'extérieur, et il a été submergé par l'agitation.

Didier: B. , qu'est-ce qui fait que tu te détournes aujourd'hui de la tranquillité?

B. : A être trop tranquille, j'ai fini par me laisser déborder, et maintenant je suis submergé. Si je suis tranquille, j'ai peur d'être de plus en plus débordé.

Voici donc la pensée avec laquelle B. s'interdit la tranquillité. Comme nous tous, il se ment à lui-même, il se voile la face. Il est clair pour tout le monde sauf pour lui que ce qui est à l'origine de sa situation actuelle est davantage l'agitation que la tranquillité : il ne se pose pas, prend des engagements inconsidérés, ne les tient pas, etc.

Hier soir, il sent que quelque chose cloche, et une ouverture se présente.

Didier : Est-ce la tranquillité ou l'agitation qui te conduit à cette situation?

B. : Tu sais que je connais la réponse!

Traversant sa détresse, un sourire chemine jusqu'à son visage.

Il n'y a rien à ajouter, un silence s'installe, et nous baignons tous deux dans une joie tranquille. Instant de grâce.

B. repart heureux. Sa situation extérieure n'a pas changé, il n'a aucune réponse à ses problèmes.

Il a ôté un voile, c'est suffisant.